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Inceste en France : Quand la Société se met à parler

Ces dernières années ont été marquées par différents mouvement de libération de la parole des victimes tels que #Metoo ou #Balancetonporc. Récemment, nous avons pu assisté à l’émergence d’une nouvelle prise de parole toute aussi massive sous le hashtag #Metooinceste. Chez Legalissimo, nous avons décidé de vous faire un retour sur l’élan de parole des victimes d’inceste retentissant jusque dans les plus hautes sphères de la société française.

Focus sur l’inceste en France 

« Tous les jours, près de chez vous, un bon père de famille couche avec sa petite fille de neuf ans. Ou parfois elle lui fait juste une petite fellation. » C’est ainsi que Dorothée Dussy débute son récit dans son livre Le berceau des dominations : anthropologie de l’inceste. Effectivement, les termes inceste ou incestueux font partie du langage courant aujourd’hui. Il est d’ailleurs malheureusement probable que vous, lecteurs, connaissiez une personne ou ayez été vous-mêmes déjà confrontés à l’inceste, parfois même sans en avoir conscience. Il convient alors de définir précisément cette notion entourée de tabous afin de mesurer plus efficacement l’ampleur de ce fléau sociétal.

L’inceste c’est quoi ? 

Point définitions : 

Au sens du droit, l’inceste est qualifié lors d’un viol commis par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime. Cette notion renvoi donc à des relations sexuelles entre proches parents. D’autres définition plus généraliste s’accorde à définir l’inceste comme les relations sexuelles entre parents ou alliés d’un degré tel que le mariage civil serait prohibé.

Le Code Pénal ne comprend la notion d’inceste que depuis 2010. Il faut aussi savoir qu’en France l’inceste ne constitue pas toujours une infraction. En effet si la relation incestueuse est librement consentie et concerne deux personnes qui ont dépassé l’âge de la majorité sexuelle, fixé à quinze ans dans notre pays, elle ne tombe pas sous le coup du code pénal nous apprend le Sénat.

Par soucis de clarté, le terme inceste ne désignera dans cet article que son pan tombant sous le joug de l’infraction pénale. Ainsi, nous aborderons l’inceste en son sens d’un viol ou d’un abus sexuel commis par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime.

Quelques chiffres sur l’inceste en France :

En 2020, 6,7 millions de français déclaraient avoir déjà été victime d’inceste. Cela représente 10% de la population du pays. A titre d’illustration, cela concerne 3 enfants sur une classe d’une trentaine d’élèves. Ce chiffre ahurissant a pu être posé grâce à un sondage Ipsos réalisé par l’association Face à l’inceste. Toujours selon ce sondage, 32% des personnes interrogées connaissaient directement une victime de l’inceste.  

Les chiffres de la justice fournis par le service de statistiques du ministère de l’Intérieur sont moins percutants. En 2018, les services de police et de gendarmerie recensent 7 260 plaintes pour des violences sexuelles intrafamiliales. Bien que ce chiffre représente plus d’un tiers des plaintes pour violences sexuelles il ne semble pourtant pas représentatif de l’ampleur réelle du phénomène.

L’affaire Duhamel : l’élément déclencheur d’une prise de parole massive 

Objet d’accusations très lourdes par sa belle fille, le constitutionnaliste et ancien député européen Olivier Duhamel démissionne de toutes ses fonctions le 4 janvier 2021. Dénonciations calomnieuses ou levée d’une chape de plomb concernant des actes abjectes dissimulés depuis trop longtemps ? Le présumé innocent n’a pour l’instant pas souhaiter faire de déclarations publiques. Il devrait être entendu par les enquêteurs de la brigade de protection des mineurs sous peu.

Le lendemain sortira le livre La Familia Grande écrit par Camille Kouchner et dans lequel elle accuse son beau père d’actes pédo-criminels et incestueux à l’égard de son frère jumeau lorsqu’ils étaient adolescents. Dans son livre, la juriste et spécialiste en droit du travail nous raconte qu’à la fin des années 80 son frère jumeau, alors âgé de 13 ans reçoit des visites nocturnes de la part de son beau-père s’invitant dans sa chambre. L’adolescent fait alors part de son calvaire à sa sœur et lui demande de garder le silence. Selon l’auteure les faits se perpétueront pendant plus de deux années.

La parution de ce livre va être le point de départ d’une vague de tourmente pour l’Institution Sciences Po. Elle va par ailleurs et surtout être le point de départ d’une prise de parole massive sur l’inceste.

A lire aussi : Scandales sexuels: Sciences Po dans la tourmente

#Metooinceste : quand les réseaux sociaux libèrent la parole des victimes d’inceste 

Bien que la dénonciation de l’inceste ne soit pas un phénomène nouveau, un véritable tournant semble avoir été marqué avec la parution du Livre de Camille Kouchner. Le ministre de la justice, dans une interview pour l’émission Le Quotidien du 15 février 2021, qualifia d’ailleurs cette œuvre  » d’utilité publique « . En effet l’on assistera dans les jours qui suivront la publication du livre à l’émergence d’un nouvel élan de parole sous le hashtag #Metooinceste.

Sophia Antoine : instigatrice d’un élan de parole porté par plus de 80 000 voix

Le 14 janvier, Sophia Antoine, militante féministe décide de partager son histoire et de lancer le hashtag #Metooinceste. Ce hashtag va réunir, en quelques jours seulement, plus de 80 000 témoignages d’individus ayant vécu ou connu des histoires d’inceste.

 

La sortie du silence de Monsieur et Madame Tout Le Monde

Parmi ces témoignages il n’y a pas de profil type des victimes. Les agresseurs désignés, eux, semble être très majoritairement des hommes. C’est le cas dans 96% des histoires d’inceste en moyenne selon Charlotte Pudlowski dans son podcast « Ou peut-être une nuit » sur Louie Media.

On assiste donc, depuis la mi-janvier et encore aujourd’hui, à un raz de marée de témoignages de pères & mères de famille, étudiant.e.s, retraité.e.s et autres affirmant avoir connu ou subi des actes d’inceste. Certains dans leur plus tendre enfance. D’autres durant leur adolescence. A l’occasion d’évènements familiaux, de manière quotidienne ou encore en guise de monnaie d’échange contre des cigarettes. Bien que seuls des procès en bonne et due forme permettraient de faire la lumière sur ces histoires, ces prises de paroles sont édifiantes.

Un élan de parole retentissant jusque dans les plus hautes sphères de la Société

Cette sortie massive du silence par les victimes a trouvé échos dans toutes les couches de la société. Loin de ne  concerner que les milieux les plus fragilisés, de nombreuses personnalités ont, à l’instar de Camille Kouchner, décidé eux aussi de prendre la parole, de ne plus se taire face à l’inceste.

Agnès B. : la styliste marquée à vie

Le dimanche 14 février, c’est la styliste Agnes B. qui a pris la parole sur le plateau télévisé de LCI. Elle est revenue sur les attouchements qu’elle avait subi de ses 12 à ses 16 ans par son oncle. Evoquant un traumatisme « qui marque à vie » elle a souligné l’importance de la parole afin de prévenir ces actes pour les générations futures.

Audrey Pulvar se désignant comme « fille de monstre »

Audrey Pulvar est aussi intervenue à l’antenne de France Inter le 15 février afin d’évoquer les actes de son défunt père accusé de pédo-criminalité par trois femmes. S’auto-qualifiant alors de « fille de monstre » elle a admis avoir été au courant des agissements de ce derniers il y a plus d’une vingtaine d’années. Ce sont ses cousines qui lui auraient fait part des agissements déplacés de Marc Pulvar à leur encontre. Profondément choquée par ces révélations à l’époque, la jeune femme n’avait pourtant pu se résoudre à dénoncer son paternel.

Ouverture d’une enquête dans l’affaire Richard Berry

Enfin, l’affaire Richard Berry qui a éclaté dernièrement témoigne aussi de cet impact retentissant. Coline Berry a déposé plainte contre son père le 21 janvier pour des faits de viols, agressions sexuelles et corruption de mineur commis à son encontre par le célèbre acteur lors de son enfance entre 1984 et 1986. Dans une publication du 3 février sur son compte Instagram elle sortait ainsi du silence : « C’est cette enfant, celle qui était embrassée par son père sur la bouche avec la langue, celle avec qui son père n’a jamais eu la moindre pudeur, celle qui a dû participer à ses jeux sexuels dans un contexte de violences conjugales notoires, c’est elle qui a déposé plainte. » 

Richard Berry quant à lui réfute totalement de telles accusation et à déclaré ne jamais avoir eu de relations déplacées ou incestueuses avec aucun de ses enfants. La justice se chargera de faire la lumière sur cette affaire.

Changement de mœurs et rejet du tabou sur l’inceste : quand le droit évolue avec la société

Une société qui écoute enfin 

Si l’on reprend le sondage offert par l’association Face à l’inceste on remarque que le nombre de victimes d’inceste déclarées en France a triplé en l’espace de 10 ans. Cet accroissement ne semble pas se justifier par une hausse des actes incessant mais semble plutôt être le résultat d’une mouvance de libération de parole. Cette tendance à sortir du silence contribue à s’extraire du tabou entourant l’inceste en France. Elle nous permet alors d’avoir une meilleur appréhension quant à l’ampleur réelle de ce phénomène. 

Cependant, et comme le confirme Camille Kouchner lors de son interview pour Le Quotidien, ce n’est pas simplement dû à une hausse du courage chez les victimes. Non, « c’est la société qui écoute enfin« . Les récentes évolution sociétales initiées par les nombreux mouvements de libération de parole de ces dernières années favorisent effectivement ces prises de conscience. Les victimes sont de moins en moins stigmatisées et de plus en plus soutenues. Les témoignages ne sont plus automatiquement discrédités et, toujours dans le respect de la présomption d’innocence, les victimes sont encouragées à s’exprimer. Elles ne sont plus seules.  

Vers une évolution juridique offrant une meilleure protection contre l’inceste 

Cette prise de conscience sociétale s’accompagne d’une évolution juridique afin d’offrir une meilleure protection aux victimes. L’adoption à l’unanimité et en première lecture d’une proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs contre les violences sexuelles marqua notamment ce jour du 18 février. Une des avancées majeures de cette loi : le passage à 18 ans du seuil de non consentement en cas d’inceste.

Cela constitue un grand pas en avant pour la justice. Jusqu’ici, de nombreux accusés plaidaient l’absence de non-consentement de leur victime. La question du consentement dans les relations incestueuses était évidemment problématique. Un enfant n’est bien souvent pas en mesure d’exprimer son refus surtout face à une personne adulte, d’autant plus lorsque celle-ci fait partie du cercle familial. Cela conduisait alors à une diminution drastique des peines encourues. Désormais, la question du consentement ne se posera plus en cas d’inceste et ce, pour toute victime de moins de 18 ans.

Cependant, cette libération de la parole et ce durcissement juridique relatif à l’inceste n’effaceront pas les abus sexuels intra-familiaux. Ainsi, et c’est ce sur quoi nous nous quitterons chers lecteurs, cette mouvance doit pour beaucoup s’accompagner d’une plus grande sensibilisation et d’une meilleure éducation à ce propos afin de prévenir de tels actes.

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