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Scandales sexuels: Sciences Po dans la tourmente

En ce début d’année 2021, les Instituts d’Etudes Politiques (IEP), plus communément connus sous l’appellation de Sciences Po, ont connu une vague de scandales liés à des actes de délinquances et de crimes sexuels. Aujourd’hui, Legalissimo reviens sur les différents points clés constituant la vague de tourmente à laquelle Science Po doit faire face.

Olivier Duhamel : Personnalité éminente de l’Institution Sciences Po visé par des accusations d’actes incestueux et pédo-criminels

Objet d’accusations très lourdes par sa belle fille, le constitutionnaliste et ancien député européen marqua le point de départ de la tourmente Sciences Po. Dénonciations calomnieuses ou levée d’une chape de plomb concernant des actes abjectes dissimulés depuis trop longtemps ? Le présumé innocent Olivier Duhamel n’a pour l’instant pas souhaiter faire de déclarations publiques et devrait être entendu par les enquêteurs de la brigade de protection des mineurs sous peu.

Entre inceste et omertà au sein de la Haute société 

Le 4 janvier 2021, le politologue, professeur agrégé de droit public et président de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP) Olivier Duhamel démissionne de toutes ses fonctions. Le lendemain sortira le livre La Familia Grande écrit par Camille Kouchner et dans lequel elle accuse son beau père d’actes pédo-criminels et incestueux à l‘égard de son frère jumeau lorsqu’ils étaient adolescents.

Dans son livre, la juriste et spécialiste en droit du travail nous raconte qu’à la fin des années 80 son frère jumeau, alors âgé de 13 ans reçoit des visites nocturnes de la part de son beau-père s’invitant dans sa chambre. L’adolescent fait alors part de son calvaire à sa sœur et lui demande de garder le silence. Selon l’auteure les faits se perpétueront pendant plus de deux années.  

C’est seulement après leur trentième anniversaire que Camille Kouchner convainc son frère de sortir du silence et de divulguer à sa mère les actes terribles dont il aurait été victime. Pour autant, l’ex-femme du co-fondateur de médecin sans frontières et ancien ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner décida de s’enfermer dans le mutisme jusqu’à son décès en 2017 afin de protéger son mari et d’éviter tout scandale. Dans son récit, Camille Kouchner indique qu’un « petit cercle » de proches était, a l’instar d’Evelyne Pisier, au courant de cette histoire sans pour autant prendre réelle position à ce propos. 

A lire aussi : Inceste en France : quand la Société se met à parler 

La publication du livre Familia Grande : un procès médiatique à défaut de procès pénal ?

Une histoire de prescription

Victor Kouchner aurait décidé de porter plainte le 25 janvier après avoir été entendu par les enquêteurs de la brigade de protection des mineurs. Pour autant, les faits dénoncés, quand bien même il seraient avérés, pourraient difficilement donner lieu à un procès pénal puisque frappés de prescription. En matière pénale et concernant les délits sexuels, l’action publique rendant possible les poursuites judiciaires s’éteint après 20 ans. Ce délai de prescription commence à courir à partir de la majorité de la victime.

Pour autant, la Loi Schiappa du 6 août 2018 a repoussé ce délai à 30 ans après la majorité du mineur victime de crimes sexuels. Ainsi, une victime mineur de viol aura jusqu’à ces 48 ans pour demander justice. Cependant ce délai rallongé ne concerne que les crimes sexuels et donc les cas de viols. L’impossibilité de prouver un acte de pénétration non consentie conduirait alors à l’extinction de ce droit d’action en justice, les autres abus sexuels n’étant pas concerné par ce prolongement du délai de prescription. Les faits en question remontant à la fin des années 1980 et donc à plus d’une trentaine d’années il semble compliqué, en l’état actuel du droit, d’imaginer la tenue de poursuites et d’un procès pénal.

Libérer la parole des victimes avant de dénoncer une personne et ses actes : le véritable objectif de Camille Kouchner

La prescription des faits n’a néanmoins pas porter atteinte à l’objectif initial de Camille Kouchner lors de la publication de son livre. Effectivement, et comme le développe la juriste son interview pour l’émission Le Quotidien du 15 février 2021, il ne s’agissait pas là d’un acte de délation. Ces révélations n’auraient pas pour but premier de dénoncer mais de s’inscrire et insuffler de la force dans un mouvement de libération de parole afin de faire évoluer la société de manière plus saine, l’inceste constituant à ce titre un tabou notoire au sein de la société française. Le pari semble réussi.

Une prise de parole massive à la suite de la publication du livre Grande Familia 

Une vague de témoignages sur les réseaux sociaux principalement suivit la parution du livre. Cette mouvance pris forme à travers différents hashtags tel que le #Metooinceste auquel ont pu participé des personnalités politiques notamment et dont on dénombra pas moins de 80 000 tweets à ce sujet.   (lien interne vers le second article Inceste en France : Une vague de libération de la parole frappe les plus hautes sphères de la société) 

Le Déferlement de témoignages d’harcèlement et d’agressions sexuels au sein de Sciences Po sous le hashtag #SciencesPorcs

La tourmente de Science Po ne s’est pas limitée aux accusations concernant Olivier Duhamel qui auraient pu ternir l’image de son administration. Elle s’est même démultipliée lorsque, dans cet élan de libération de la parole, des centaines de témoignages d’actes d’harcèlements et de violences sexuelles commis par et à l’encontre d’étudiant(e)s de Sciences Po ont émergé et été relayés en masse sous le hashtag #SciencesPorcs.

Un phénomène d’ampleur nationale

Loin de se limiter à un seul Institut d’Etudes Politiques, ces témoignages ont directement visé, à de nombreuses reprises, la plupart des Instituts de Sciences Po sur le territoire français. A titre d’exemple, pour L’IEP de Bordeaux c’est plus de 150 témoignages d’agressions sexistes, sexuelles et de viols qui ont été recensés.

Elèves et professeurs touchés

Parmi ces témoignages certains ont engendré une réaction rapide de la part des autorités comme c’est le cas pour cette étudiante de l’IEP de Toulouse. Après avoir acceptée de témoigner face caméra et grâce au relais massif dont elle a pu bénéficier la jeune femme a pu être entendu par son administration. Victime de viol lors de sa période d’intégration à Sciences Po en 2018, elle a décidé de déposer plainte le 6 février 2021.  L’agresseur présumé, âgé de 22 ans, a été placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête préliminaire pour viol. Par ailleurs, deux enquêtes pour agressions sexuelles ont été ouvertes suite à des témoignages de victimes étudiantes à Sciences Po Grenoble.

 

Outre les étudiants, certains professeurs de Sciences Po ont profité de cette mouvance afin de livrer eux aussi leurs témoignages concernant des actes sexistes dont ils s’estiment victimes.

 

La réaction de Sciences Po face à la pression médiatique 

Ce tsunami de témoignages a bien évidemment entrainé un engouement médiatique autour de cette affaire et de Sciences Po. Les administrations des différents IEP ont individuellement réagi à ces révélations annonçant une volonté d’écoute et d’accompagnement des victimes. En effet, Science Po Lille a par exemple annoncé le renforcement et la mise en avant des mécanismes de signalement. Des actions de formations et de sensibilisation vont aussi être mis en place dans la plupart des établissements concernés.

 

Ces scandales en cascades ont aussi précipité la démission du directeur de Sciences Po Paris Frédéric Mion. Acculé par la pression médiatique entre l’affaire Duhamel et l’afflux de témoignages, c’est la publication d’un rapport d’inspection à Sciences Po qui a été décisif. Effectivement, la ministre de l’enseignement supérieur avait dépêché une mission d’inspection suite à la démission d’Olivier Duhamel de son poste de président du FNSP. Cette mission avait pour but d’éclaircir la situation sur les rumeurs d’une forme d’omertà autour des actes supposés d’Olivier Duhamel. Bien que l’existence d’une pratique générale de mise sous silence n’ait pu être avérée à ce jour, ce rapport révèle tout de même qu’au moins 6 personnes en lien avec Sciences Po dont Frédéric Mion étaient au courant de l’affaire Duhamel.

Un bâillonnement systémique et systématique des actes de délinquance sexuelle au sein de Sciences Po ? 

La vague de témoignages, la similitude des contextes et de l’indifférence administrative face à la délinquance sexuelle sévissant au sein des IEP ont conduit de nombreuses personnes à s’interroger sur la responsabilité de Science Po dans ces affaires. Tout ces éléments constituent-ils l’indicateur d’un problème systémique ?

La connaissance et l’inaction de l’administration 

Sur l’affaire Duhamel

Il y a tout d’abord le fait que Frédéric Mion eut connaissance des accusations envers Olivier Duhamel, a minima depuis 2018, ce qui fragilisa l’opinion vis à vis de l’administration de Sciences Po. C’est l’ancienne ministre de la culture Aurélie Filippetti qui aurait porté à sa connaissance l’affaire Duhamel en février de cette année là. C’est donc avec une certaine aigreur que les étudiants repensent au discours de la rentrée 2020. En effet, lors de sa prise de parole, le directeur de l’IEP de Paris avait présenté Olivier Duhamel comme son maître et son ami, assurant alors aux élèves qu’ils étaient « entre de bonnes mains« .

Plus dérangeant encore, le rapport d’inspection dépêché par Madame Vidal révéla un degré supérieur d’implication du directeur dans la mise sous silence de cette affaire. Ce rapport de plus d’une quarantaine de pages et recensant les témoignages de 68 personnes indique que M. Mion aurait menti aux enseignants, à la presse, aux étudiants ainsi qu’a l’inspection chargée de faire la lumière sur cette situation. Cette dernière souligna d’ailleurs dans son rapport une volonté « de ne pas divulguer l’intégralité des informations dont il dispose et des décisions qu’il a prises« .

Sur les sévices sexuels internes à Sciences Po

Concernant les actes dont auraient été victimes de nombreux étudiants, ces derniers affirment là aussi, une connaissance des faits par l’administration. Selon les témoignages, cette connaissance des faits s’accompagnerait bien souvent d’une inaction ou d’une action jugée insuffisante de la part des IEP. C’est le cas par exemple d’un témoignage de viol à Sciences Po Paris en réponse auquel l’administration aurait simplement décidé de changer de campus l’accusé sans prendre d’autres mesures à son encontre.

 

Des témoignages de dissuasion d’action en justice par l’administration de Sciences Po les services de police : un déni de justice organisé ? 

Les reproches faits à Sciences Po ne se limitent pas seulement à une passivité de l’administration. Cela va effectivement plus loin puisque nombre de témoignages ont affirmé une volonté de la part de Sciences Po de faire taire les accusations afin de protéger les accusés et ne pas créer de scandale.

Certains ont même dénoncé des intimidations exercées sur les victimes afin de les pousser au silence. C’est le cas par exemple au sein de Sciences Po Rennes, des témoignages affirmant que l’administration aurait soutenu un élève en procédure judiciaire dans le cadre d’une enquête concernant des agressions sexuelles sur d’autres étudiants de l’IEP. Cette même administration aurait, selon ce témoignage exercé une pression au moyen de menace de conseil de discipline à l’encontre d’une des victimes de cette affaire.

Enfin, d’autres étudiants auraient fait état d’une sorte de collusion entre l’administration et certains services de police. En ce sens, des témoignages rapportent que certains membres de l’administration de Sciences Po Lille donnaient leur carte de visite à des agents de police. Cette manœuvre aurait alors eu pour but d’entretenir un lien avec ces derniers afin qu’ils dissuadent les victimes venant s’adresser à eux d’engager des poursuites judiciaires.

 

Conclusions :

Ces témoignages ainsi que ces accusations n’étant pas encore entièrement avérés il apparait difficile de trancher cette question d’un déni de justice organisé. Cependant, toutes ces déclarations démontrent une réelle perte de confiance en l’administration de Sciences Po. Cette perte de confiance ne semble pas se limiter seulement aux étudiants et touche aussi les enseignants des IEP. Bertrand Badie, politologue et professeur émérite de Sciences Po Paris aurait déclaré à propos du Conseil de l’IEP (organe le plus influent de Science Po)  » II faut mettre le conseil au diapason du troisième millénaire et casser ce parfum de réseau et d’entre-soi « .

L’administration n’a pas nié cette méfiance non plus. Elle a d’ailleurs déclaré vouloir réformer sa gouvernance. En ce sens, Louis Schweitzer, membre du conseil de l’IEP, a proposé une réforme du mécanisme de cooptation de ce conseil bien que cela ne suffise pas à convaincre chacun. C’est le cas par exemple de Nicolas Metzger, ancien dirigeant du conseil, qui qualifie cette manœuvre « d’écran de fumée« .

 

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