justice
Incendie de Notre-Dame de Paris : une quinzaine d’ouvriers déjà entendus
Le procureur de Paris, qui écarte la piste criminelle, annonce des investigations « longues et complexes » après l'incendie qui a ravagé la cathédrale. Par Nicolas Bastuck
« On laisse l’enquête se faire avant de parler. Merci, bonne journée… » Au siège de l’entreprise Le Bras Frères, à Jarny (Meurthe-et-Moselle), l’heure était à la consternation, mardi matin. Cette entreprise spécialiste en charpentes et couvertures, qui emploie un peu moins de 200 ouvriers hautement qualifiés, rompus aux contraintes des bâtiments historiques, avait décroché le chantier de rénovation de la flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Celle-ci s’est effondrée lundi soir, peu avant 20 heures, une heure dix après le déclenchement de l’incendie qui a emporté les deux tiers de la toiture en plomb et l’intégralité de la charpente du monument. Ce marché faisait la fierté de l’entreprise lorraine, déjà missionnée sur le chantier de rénovation de la cathédrale de Reims et la restauration du dôme du Panthéon, à Paris.
Des salariés d’Europe Échafaudage, filiale du groupe Le Bras, avaient travaillé toute la journée à l’installation de la structure géante sur Notre-Dame, composée de dizaines de milliers de tubes d’acier et adossée aux piliers du transept, sur lequel les couvreurs devaient intervenir dans quelques semaines. Ce travail préparatoire avait débuté l’été dernier et devait encore durer quelque temps, avant le démarrage des travaux de restauration proprement dits. « Les travaux n’avaient pas encore débuté, seuls les échafaudages étaient en cours de montage », a confirmé l’architecte en chef des monuments historiques chargé de la restauration de la flèche, François Chatillon, cité par Le Monde. « L’hypothèse du point chaud (provoqué par une soudure) n’est donc pas la bonne », a-t-il précisé. Le feu serait donc bien parti d’un échafaudage.
Rien ne va dans le sens d’un acte volontaire
Dès lundi soir, plusieurs ouvriers de cette société, mais aussi de quatre autres entreprises, rapidement identifiés par les enquêteurs, ont été interrogés en « audition libre » par les policiers de la brigade criminelle de Paris. Mardi en fin de matinée, une quinzaine de personnes avaient, déjà, été entendues. Le procureur de Paris, Rémy Heitz, avait ouvert lundi en début de soirée une enquête préliminaire et confié les investigations à direction régionale de la police judiciaire. Moins de deux heures plus tard, la qualification de « destruction involontaire par incendie » était arrêtée, le parquet écartant a priori la piste d’un incendie d’origine criminelle. « Rien ne va dans le sens d’un acte volontaire », a-t-il confirmé mardi, au cours d’une conférence de presse.
Mardi matin, les enquêteurs de la PJ n’avaient pas encore pu pénétrer à l’intérieur du bâtiment, toutes les conditions de sécurité n’étant pas remplies. Le feu s’étant déclaré selon toute vraisemblance dans les combles (en grande partie détruites) de la cathédrale, les chances d’y saisir des preuves matérielles paraissent minces. C’est donc sur les témoignages et les auditions des ouvriers présents sur le chantier que les enquêteurs vont mettre l’accent, au moins dans un premier temps. De nombreux d’experts seront missionnés aux côtés des policiers pour tenter de cerner la cause et le point de départ du feu. Malgré l’absence de victime humaine, « les investigations vont être longues, complexes », prévient le procureur de Paris.
La « maladresse » ne suffit pas pour l’incendie de Notre-Dame
Du point de vue strictement juridique, l’analyse des faits s’annonce tout aussi délicate. Pour que l’article 322-5 du Code pénal réprimant « la destruction involontaire par incendie » puisse s’appliquer, la loi exige « un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou les règlements ». La peine encourue est d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, à moins qu’une « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité » ait pu être établie ; la peine prévue est alors doublée.
Définir ces « manquements » ou ces « violations » n’est pas chose aisée, car un lien doit être démontré entre une « faute » et une règle de conduite déterminée par un texte de loi ou un règlement (décrets, arrêtés…) en vigueur, lequel exclut les règlements édictés par les entreprises. Contrairement au délit d’homicide involontaire (mort accidentelle), la simple « maladresse » ne suffit pas pour qualifier le délit, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation.