Un nouveau dispositif de contrôle par l’administration fiscale vient de se mettre en place à travers la publication d’un décret ce 11 février. Cet outil permet au Fisc de récolter et d’exploiter des données sur les réseaux sociaux. Legalissimo revient aujourd’hui sur l’introduction de ce nouvel outil.
Un dispositif introduit depuis la Loi de finance de décembre 2019 pour 2020
L’ancre autorisant le Fisc à naviguer sur les réseaux sociaux : l’article 154
Ce dispositif de contrôle avait, en effet, été introduit au sein de la loi de finance de décembre 2019 pour 2020 en son article 154. Envisagé à titre expérimental et pour une durée de trois ans, l’article annonçait alors de nouvelles prérogatives pour l’administration fiscale. Ces nouvelles prérogatives consistaient en la collecte et l’exploitation de contenus en ligne librement accessibles. L’article 154 indiquait alors :
« A titre expérimental et pour une durée de trois ans, […] , l’administration fiscale et l’administration des douanes et droits indirects peuvent, chacune pour ce qui la concerne, collecter et exploiter au moyen de traitements informatisés et automatisés n’utilisant aucun système de reconnaissance faciale les contenus, librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne […] manifestement rendus publics par leurs utilisateurs. »
Des dispositions contestées devant le Conseil constitutionnel dès leur introduction
L’introduction d’un tel mécanisme a entrainé une réaction immédiate des parlementaires. Ces derniers avaient alors saisi le Conseil constitutionnel de cette loi de finance et de cet article particulièrement. Les sages se devaient de répondre à une double question.
Ce dispositif avait-il sa place dans une loi de finance ?
Dans un premier temps, il s’agissait de savoir si une telle disposition avait sa place au sein d’une loi de finance. Les lois de finance se composant d’un nombre conséquent de dispositions, elles font parfois l’objet de filouteries législatives communément désignées sous l’appellation de » cavaliers législatifs « . Ces derniers se caractérisent par l’introduction de dispositions n’ayant pas de rapport avec la loi qui les porte.
Les parlementaires se sont alors interrogés sur ce dispositif de collecte et d’exploitations des données par l’administration fiscale. L’article 154 avait-il sa place dans une loi de finance? Ce a quoi le Conseil constitutionnel a répondu par l’affirmative. Il considéra sa pertinence au vu de l’objectif de cet outil à savoir : lutter contre la fraude fiscale en dotant les administrations fiscales et douanières d’un nouveau dispositif de contrôle pour le recouvrement de l’impôt.
Un dispositif inconstitutionnel ?
La seconde question que le Conseil a dû trancher consistait à déterminer si un tel dispositif était ou non inconstitutionnel. Sur cette question, les sages ont considéré que le nouveau mécanisme mettait effectivement en opposition différentes dispositions constitutionnelles. Il s’agissait donc de trouver un équilibre entre le droit au respect de la vie privée notamment et l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. De plus, le Conseil a considéré comme « nécessaires, adaptées et proportionnées aux objectifs poursuivis » les atteintes à certaines libertés fondamentales que ce dispositif pourrait engendrer. Ci-dessous un extrait de la décision du Conseil constitutionnel :
» 93. Il résulte de tout ce qui précède que,[…] le législateur a, […] , assorti le dispositif critiqué de garanties propres à assurer, entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée. Il en résulte également que l’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis. »
Néanmoins, les sages ont tout de même censuré une disposition de ce mécanisme. Serait alors contraire à la constitution la collecte et l’exploitation de données dans le cadre d’une recherche de manquement prévu à l’article 1728-1 b) du CGI. Cette disposition sanctionne d’une majoration de 40 % le défaut ou le retard de production d’une déclaration fiscale dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure. Ainsi, comme le justifie le conseil :
« 94. […] dans une telle situation, l’administration, qui a mis en demeure le contribuable de produire sa déclaration, a déjà connaissance d’une infraction à la loi fiscale, sans avoir besoin de recourir au dispositif automatisé de collecte de données personnelles. »
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Le Décret n° 2021-148 du 11 février 2021 : précisions sur les modalités d’utilisation de cette nouvelle arme du Fisc
Comme il avait été annoncé fin 2019, les modalités de mise en œuvre de cet outil ont été fixé par décret. Ce décret pris en Conseil d’Etat, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés a été publié le 11 février 2021.
Un dispositif de collecte automatique des données par le Fisc
Ce processus de collecte des données ne sera pas manuel. Comme le mentionne le décret, le Fisc se dote de logiciels conçus précisément pour collecter et analyser les données. A travers l’usage d’algorithmes complexes, l’administration fiscale entend déceler d’éventuels manquements ou infractions fiscales.
En ce sens, le décret nous indique que ces outils recourraient à des « indicateurs qui ne sont pas des données à caractère personnel, tels que des mots-clés, des ratios ou encore des indications de dates et de lieux, caractérisant les manquements et infractions recherchés ». Le décret évoque aussi des « modélisations de détection des activités frauduleuses » par » l’identification d’indicateurs et de critères de pertinence « .
Ainsi, il n’y aura pas d’agent du Fisc naviguant de page en page à la recherche d’éléments suspects. Pour autant, l’unique traitement informatique de données ne donnera pas lieu à des poursuites automatiques. Un agent se chargera tout de même de décider de la poursuite ou non des investigations à l’encontre de l’individu après avoir étudié les données susceptibles de caractériser des infractions.
Quelles limites à l’exploitation des données en ligne par le Fisc ?
Il est alors loisible de se demander quelles sont les limites à un tel outil de collecte d’informations numériques.
Tout d’abord, ce décret nous indique que cette collecte concernera les opérateurs de plateformes numériques de mise en relation et les utilisateurs de telles plateformes. Le code de la consommation définit cette notion de plateforme numérique de mise en relation en son article L111-7-1. En ce sens, nous pouvons citer des plateformes telles que Airbnb, le BonCoin, BlaBlaCar ou encore les différentes Marketplace mises en place par certains réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram.
Enfin, seuls les contenus dits publics pourront faire l’objet d’une telle exploitation. L’article 154 cite les « contenus, librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne […] manifestement rendus publics par leurs utilisateurs ». Les contenus privés ne pourront donc a priori pas faire l’objet d’un tel traitement. Le cas contraire pourrait effectivement rompre cet équilibre entre droit respect de la vie privée et prise en compte de l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre les fraudes et l’évasion fiscale. Ce dispositif revêtirait alors un caractère trop intrusif.
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Un dispositif tout de même contesté
Comme pour la plupart des actualités législatives, ce dispositif a fait l’objet de contestations. S’il permettrait au Fisc de dénicher certaines activités de commerce occultes et donc de renforcer la lutte contre la fraude fiscale, de nombreux internautes ont pourtant déploré le fait que les pertes les plus conséquentes ne résident pas dans les échanges non déclarés entre particuliers.
Quand bien même ces échanges prendraient la forme d’un véritable commerce occulte, la majeure partie du manque à gagner de nos services d’impôts semble s’organiser à une toute autre échelle, loin des marketplace de Facebook ou de la plateforme LeBonCoin. En ce sens, ce sont des procédés légaux qui autorisent ce pied de nez au Fisc. On parle ici d’évasion fiscale. La France est d’ailleurs médaillée bronze d’Europe en terme d’évasion fiscale avec un montant estimé à plus de 117 milliards d’euros comme le rapporte Statista.
Ainsi, malgré le fait qu’on ne puisse valablement estimer la fraude fiscale qui est par essence dissimulée, le caractère colossal du montant estimé de l’évasion fiscale a pu, pour certaines personnes, rendre dérisoire la mise en place de ce nouveau mécanisme de collecte de données. Ce dernier demeure néanmoins une innovation ainsi qu’un indéniable renforcement du processus de contrôle fiscal.