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Crime contre l’humanité : une plainte est déposée à l’encontre de Jair Bolsonaro
Jair Bolsonaro est encore l’un des rares chefs d’Etat a minimiser le risque que le Covid représente. Cela participe à rendre difficile l’instauration de mesures sanitaires pour freiner l’épidémie. Si d’autres gouvernements essuient des plaintes de la part de la population civile suite à leur mauvaise gestion de la pandémie (l’Etat français fait l’objet de plus d’une soixantaine de plaintes !), rares sont les dirigeants accusés de crime contre l’humanité.
Mais alors ? Quel a été le comportement tant controversé du président brésilien durant la pandémie ? Qui est à l’origine de cette plainte ? Quelles sont ses implications ? Quelles sont les sanctions encourues ? Nombreuses sont les questions à propos du recours à une telle initiative, qui pourrait en inspirer d’autres dans différents pays…
Le comportement de Jair Bolsonaro aux antipodes du principe de précaution
Jair Bolsonaro, président du Brésil, s’est fait connaître pas ses positions tranchées sur des sujets délicats. Ainsi, dès son élection en 2018, il annonçait soutenir inconditionnellement l’activité économique face aux considérations écologiques, quand bien même l’Amazonie subissait des déforestations importantes. Cela allait préfigurer la politique menée en ces temps de crise sanitaire.
En effet, le Président est resté fidèle à ses principes de compétitivité et d’emploi malgré les préconisations que l’OMS conseillait. Le confinement imposé ne fut pas unanime (voire critiqué par Bolsonaro). Plus étonnant encore, aucune précaution n’a été, pendant longtemps, encouragée par les autorités, pas même le port du masque.
Ce manque de considération de la gravité du virus a eu des conséquences terribles dans le pays. Le Brésil est le deuxième pays le plus endeuillé par le Coronavirus. Depuis trois mois, on y enregistre plus de 1000 morts par jour. Forcément, un tel bilan humain est à mettre en relation avec le laxisme du pouvoir en place. Outre un gouvernement qui ne prend pas tout à fait la mesure de la gravité de la situation, nombreux sont les médias qui pointent une organisation désordonnées de la lutte contre le virus. Tout porte à croire qu’il manque une ligne directrice permettant à l’Etat, aux gouverneurs et aux maires de faire converger leurs décisions.
La mauvaise organisation du gouvernement n’est pas sans conséquence sur le comportement de la population. Une partie de cette dernière demeure réticente à porter le masque ou à adapter leurs comportements à la conjoncture. Par exemple, les transports en commun demeurent bondés et les terrasses restent largement occupées.
Jair Bolsonaro au cœur de la polémique
A force de négliger les précautions, le président Brésilien a lui-même contracté le Coronavirus. Pour autant, cela ne l’empêche pas de faire quelques entorses à sa quarantaine imposée, notamment en faisant des excursions en deux roues aux abords de sa résidence à Brasilia.
Des images diffusées sur la toiles le montre même en train de discuter, sans masque, avec un jardinier également dépourvu de protection. Cela a causé un véritable tollé parmi l’opposition. Marcelo Freixo, un parlementaire fédéral, a même déclaré que cette balade en moto était « à l’image de la monstruosité de Bolsonaro et de son mépris pour la vie des Brésiliens ».
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De plus, suite à son dépistage, Jair Bolsonaro suit un traitement à base de Chloroquine et n’en cesse de vanter les mérites. Cependant, cela rend de moins en moins audible l’avis de la communauté scientifique qui attribue à ce traitement des effets secondaires non négligeables.
Syndicats et travailleurs de la santé portent plainte
La légèreté de Jair Bolsonaro face à la gravité de la situation a poussé 60 organisations syndicales et près de 1 million de travailleurs de la santé à porter plainte ce dimanche 26 juillet pour « crime contre l’humanité ». Cette plainte, enregistrée auprès de la Cour pénale internationale, permet notamment de mettre en avant les manquements de l’exécutif brésilien sur le plan international.
Selon Màrcio Monzane, le secrétaire régional des professionnels de santé UNI Américas, « Le président Bolsonaro fait une campagne permanente contre les mesures d’isolement social, de protection , de soutien aux groupes les plus vulnérables ».
La plainte se fonde notamment sur un mépris des risques, qui s’est traduit par un manque de moyens alloués. Le secteur de la santé déplore près de 500 pertes ! La faute revient au gouvernement, qui n’a su donner aux soignants des équipements de protection et des masques.
Selon la plainte déposée, le « crime contre l’humanité » résiderait également dans l’encouragement des actions qui facilitent la propagation du virus. Les syndicats dénoncent aussi une absence totale de prise en compte des minorités. Cela se traduit notamment par l’exercice d’un veto à propos d’une loi obligeant le gouvernement fédéral à garantir l’approvisionnement en eau potable de la population brésilienne. La plainte dénonce une « politique d’exclusion des minorités ». En effet, ce sont bien les minorités qui apparaissaient comme les principales bénéficiaires de la mesure.
Cette plainte ne devrait pas effrayer davantage le président, qui fait déjà l’objet de trois autres plaintes déposées à la Cour de justice internationale. Par ailleurs, aussi étonnant que cela puisse paraître, Jair Bolsonaro gagne en popularité malgré le lourd bilan humain. Cela ne devrait pas l’inciter à changer de comportement…
Une plainte à l’encontre de Jair Bolsonaro qui peut ne pas être suffisante
Pointer les négligences de Jair Bolsonaro ne saurait être suffisant pour caractériser un crime contre l’humanité. Comme le précise Luis Moreno Ocampo, ancien procureur de la Cour pénale internationale, il faut démontrer la volonté du Président Brésilien d’utiliser la situation sanitaire actuelle contre son peuple.
Autrement dit, le coronavirus doit être appréhendé par le pouvoir comme « un outil d’extermination de tout ou partie de la population » pour qu’une enquête soit menée par la Cour pénale internationale et qu’un jugement puisse être prononcé. Il serait alors question de génocide, notion que la plainte déposée le 26 juillet sous-entendrait (notamment en mentionnant les minorités). Il faut dire que Jair Bolsonaro fait déjà l’objet d’une plainte pour génocide à l’encontre du peuple indigène d’Amazonie.
Concrètement, qu’est-ce qu’implique une plainte pour crime contre l’humanité ?
Les spécificités du crime contre l’humanité
Créée en 1945, la notion de crime contre l’humanité désigne un ensemble de crimes aux caractéristiques particulières. Plus précisément, un crime est perpétré contre l’humanité dès lors qu’il consiste en une « violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d’un individu ou d’un groupe d’individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux et religieux » (Dictionnaire de la culture juridique, Jean-Philippe Feldman, 2003).
L’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale identifie onze actes constitutifs de crimes contre l’humanité. Parmi eux, on trouve l’extermination, la réduction en esclavage, les disparitions forcées, etc… dès lors qu’ils sont commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile et en connaissance de l’attaque ».
Le crime contre l’humanité est imprescriptible au niveau de l’action publique mais aussi de la peine. Autrement dit, tous les actes constitutifs de tels crimes peuvent être jugés sans limitation de temps. La peine est également imprescriptible : une fois prononcée, elle ne peut s’éteindre avec l’effet du temps.
Des organes dédiés
Les plaintes traitant de crimes contre l’humanité doivent être enregistrées auprès de la Cour pénale internationale (CPI). Le siège officiel de la Cour se situe à La Haye, aux Pays-Bas.
La CPI a été créée en 1998 et elle est permanente. A vocation universelle, elle est en charge du jugement de personnes ayant perpétré des crimes contre l’humanité. Mais sa compétence ne se réduit pas à cet unique chef d’accusation ! Les génocides, crimes de guerre et crimes d’agressions font également partie de la compétence de la CPI.
Dans le cas de Jair Bolsonaro, il s’avère que le Brésil a signé le Statut de Rome et l’a ratifié. En tant qu’Etat membre, la CPI peut rendre un jugement à propos des crimes qui y sont commis.
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Des sanctions propres ?
Une personne condamnée pour un crime contre l’humanité risque la réclusion criminelle à perpétuité. Des peines complémentaires peuvent venir s’y ajouter. Par elles, on peut trouver l’interdiction de droits civiques, civils et de famille ou encore l’interdiction d’exercer une fonction publique.
Ainsi, le dépôt de plainte de crime contre l’humanité à l’encontre de Jair Bolsonaro n’a rien d’anodin. Pour cause, la négligence du Président Brésilien a pu tuer de nombreuses personnes. Encore faut-il prouver que l’intention y était, ce qui semble pour le moins difficile…
On voit bien cependant comment, encore aujourd’hui, des agissements peuvent se référer au si grave concept de crime contre l’humanité. Si la sanction à l’encontre de Bolsonaro n’est pas certaine, on ne peut retirer à cette plainte le mérite d’interpeller la communauté internationale sur les agissements de l’exécutif brésilien, et de la situation du pays par la même occasion.