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Frédéric Péchier, la chute vertigineuse de l’anesthésiste star de Besançon
Le médecin a été mis en examen jeudi soir pour 17 nouveaux empoisonnements « sur personnes vulnérables ». Récit d'une descente aux enfers.
Le dos s’est voûté légèrement ; le bronzage discret a laissé place à un teint plus terne et parcheminé ; toujours finement taillée, la barbe a fini par devenir broussailleuse… Deux ans après sa première mise en examen, Frédéric Péchier n’a plus grand-chose du quadragénaire fringant qui, à la clinique Saint-Vincent de Besançon, où il exerçait son art, comme dans le quartier huppé de Montfaucon, où il possède une villa, affichait sa réussite.
Le moment qu’il redoutait est arrivé : après une garde à vue éprouvante, commencée mardi, puis un débat contradictoire acharné mené 48 heures plus tard, le médecin anesthésiste de Besançon est poursuivi pour 17 nouveaux cas d’« empoisonnements sur personnes vulnérables » – dont 7 mortels – jeudi 16 mai. Dans la soirée, il a été mis en examen pour ces 17 cas d’empoisonnement, a fait savoir l’un de ses avocats. Cette fois, le juge des libertés et de la détention pourrait faire droit aux réquisitions du parquet qui, à nouveau, a réclamé son placement en détention provisoire. Une perspective qui le « terrifie », selon un proche. « C’est un homme brisé », rapporte l’un de ses avocats.
Au total, Frédéric Péchier est suspecté d’avoir commis 24 empoisonnements sur personnes vulnérables, dont 9 mortels. Des faits qui sont passibles de la réclusion à perpétuité. Il continue à clamer son innocence, mais la perspective de le voir comparaître devant la cour d’assises, pour des crimes qui lui font encourir la réclusion à perpétuité, se rapproche dangereusement.
Qui est cet homme que certaines parties civiles n’hésitent plus à présenter comme un « tueur en série » potentiel ?
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Une défense très dure
Jusqu’à présent, ce praticien hospitalier de 47 ans, taillé comme un troisième ligne de rugby, se montrait encore combatif malgré une première mise en examen infamante (sept empoisonnements) et un contrôle judiciaire qui, déjà, le coupait de toute vie sociale (interdiction absolue d’exercer la médecine et de sortir du territoire).
Devant la chambre de l’instruction de Besançon où il tente d’obtenir le statut de témoin assisté, le 29 mars 2017, le président l’interroge sur une éventuelle ouverture des débats à la presse. Il répond, bravache : « Les dégâts sont faits, il n’y en aura pas plus, donc ça ne me dérange pas. » Quelques mois plus tard, devant la même juridiction, le mis en examen sollicite un assouplissement de son contrôle judiciaire et la possibilité de retravailler, après avoir pris l’initiative de contacter plusieurs hôpitaux parisiens. « Je suis privé de tout revenu et les CHU manquent d’anesthésistes. Il s’agirait de faire des consultations préopératoires sans accès au bloc ni aux produits », plaide-t-il. L’avocat général s’oppose à cette requête, estimant qu’on ne peut « avoir la garantie qu’il n’y aura pas d’acte pouvant mettre en cause l’intégrité physique des patients ». La demande est rejetée.
Le procureur furieux
Malgré ces tentatives manquées, le Dr Péchier ne désarme pas, multipliant les recours pour tenter de desserrer l’étau judiciaire qui l’étreint. Sa défense, déjà pugnace, vire à l’affrontement avec le parquet quand, le 27 novembre dernier, son avocat dépose une plainte pour « faux en écriture » et « usage de faux » contre un officier de police judiciaire. Me Randall Schwerdorffer, qui a comparé l’enregistrement vidéo de la première garde à vue aux PV d’audition versés à la procédure, dénonce une retranscription « substantiellement travestie et tronquée » des réponses de son client. Furieux, le procureur de Besançon, Étienne Manteaux, classe la plainte et fustige cette « tentative de déstabilisation du travail des enquêteurs », au moment où la chambre de l’instruction refuse une nouvelle fois de lever sa mise en examen.
« M. Péchier ne joue pas le jeu », dénonce Me Berna, partie civile, qui évoque « une ligne de défense très dure ». « Son comportement ambigu et sa manière d’aborder la situation nous surprennent. Il présente les accusations comme fantaisistes alors que seules ses réponses le sont ; il crie au complot, demande à des copains experts qui ne sont pas mandatés d’intervenir, mais ne répond pas aux questions qu’on lui pose. »
Interrogé il y a encore quelques semaines sur la possibilité de voir son client mis en cause dans une nouvelle série de faits, Me Schwerdorffer écartait cette éventualité, laissant entendre « au contraire » que l’accusation allait « s’effondrer » sous l’effet de nouvelles expertises.
Anesthésiste admiré ou détesté
Du temps de sa superbe, ce médecin reconnu, capable de poser un diagnostic à la vitesse de l’éclair, disait vouloir « éprouver de nouvelles techniques qui, demain, pourraient faire référence ». « C’est toi le meilleur », l’encensaient ses collègues de la clinique Saint-Vincent de Besançon, qu’il ne prenait pas la peine de démentir. Natif de Poitiers, il était arrivé dans le Doubs il y a une vingtaine d’années pour y faire son internat dans la spécialité dont il rêvait : l’anesthésie-réanimation. Il n’a plus quitté cette région verdoyante où il a rencontré son épouse, cardiologue, avec laquelle il aura deux filles. Il est très proche de sa famille, qui le soutient contre vents et marées. « Certains ont peur de la vérité, ce n’est pas le cas de Frédéric », déclare ainsi sa femme au cours d’une des nombreuses audiences où elle accompagne son mari.
Sur les hauteurs de Montfaucon peuplées de cadres sup et de professions libérales, on le décrit comme un homme distant et peu liant. Admiré de ses collègues, il se crée aussi de solides inimitiés au travail, certains « confrères », moins admiratifs, le jugeant « hautain » et « trop sûr de lui ». Au golf de Besançon, il se murmure que Frédéric Péchier n’a pas hésité à tricher pour grappiller quelques places dans le classement. Des « jaloux », évacue l’intéressé.
« Toute-puissance »
Au début de ses ennuis, le Dr Frédéric Péchier multiplie les sorties médiatiques – il se fera ensuite plus discret. À L’Est républicain qui l’interroge le 16 mars 2017, quelques jours après sa mise en examen, il dément les accusations portées contre lui : « J’ai un métier que j’aime, j’y passe beaucoup trop de temps, ma femme vous le confirmera. Je veux progresser en permanence (…). Pourquoi je ferais un truc pareil ? Je gagne très bien ma vie, on fait en famille des voyages, plein de trucs… Sous prétexte de l’adrénaline, comme si on n’en avait pas assez, je me serais amusé à injecter des produits toxiques à des personnes, pour aller ensuite les réanimer ? C’est complètement aberrant. »
C’est pourtant le mobile que lui prêtent certains enquêteurs. « Il est celui qui endort et ramène à la vie, il en a tiré un sentiment de toute-puissance qui a précipité sa perte », pense l’un d’eux. « La thèse du médecin Zorro est au-delà du bidon », réplique son avocat.
Il n’a pas encore été jugé, mais il a déjà beaucoup perdu : son honneur et son métier. À L’Est républicain, le Dr Péchier prédisait encore, lucide sur lui-même et sur sa situation : « Quelle que soit l’issue de tout cela, ma carrière est terminée. Je ne pourrai plus jamais travailler où que ce soit. On ne peut pas faire confiance à un médecin qui, à un moment donné, a eu l’étiquette d’empoisonneur. Ça va rester toute ma vie. Ma famille est brisée et j’ai peur pour mes enfants. Pour moi, la seule façon de survivre durant l’instruction, c’est d’aller au combat. »
Celui-ci continue. Si le JLD devait le placer en détention provisoire, comme l’a requis le parquet, son avocat déposerait dès vendredi une demande de remise en liberté.