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Mais à quoi sert le projet de loi Notre-Dame ?
Le texte permet de déroger aux contraintes législatives liées à la restauration des monuments historiques. Une initiative juridiquement fragile, explique Me Richard. Par Laurence Neuer
Notre-Dame de Paris, celle dont Victor Hugo disait que chaque pierre est une page de l’histoire de France, a tous les droits, à commencer par celui de renaître. Faut-il pour autant la rebâtir « plus belle encore » (selon les mots d’Emmanuel Macron) dans un délai express (en l’occurrence cinq ans), grâce à la baguette magique d’une loi dédiée ? C’est ce que laisse augurer le projet de loi Notre-Dame appelé « Restauration et conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris et institution d’une souscription nationale ».
Il vise tout d’abord à encadrer l’emploi des dons inédits affectés à la restauration de ce joyau du patrimoine français. La réduction d’impôt sur le revenu pour les dons inférieurs ou égaux à 1 000 euros effectués avant le 31 décembre 2019 sera portée à 75 % au lieu de 66 %. Un comité de contrôle s’assurera que « chaque euro serve effectivement à la reconstruction de Notre-Dame ». Mais, que fera-t-on des euros restants ? Iront-ils aux églises et édifices classés de France qui menacent de s’effondrer ? Les paris sont ouverts…
Plus controversée encore est la partie du projet de loi Notre-Dame visant à « faciliter la réalisation des travaux » et à « accélérer le chantier » a justifié Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement. Le texte permet au gouvernement de déroger au droit existant, s’attirant les foudres des gardiens du patrimoine historique français. Faut-il jeter aux orties le temps long des bâtisseurs et transgresser les règles séculaires régissant la restauration des monuments historiques ? « Monsieur le président, ne dessaisissez pas les experts du patrimoine », plaident ces derniers dans une tribune publiée sur le site du Figaro, appelant le gouvernement à ne pas s’affranchir des règles de protection du patrimoine. « Les règles en usage depuis un siècle et demi sur les monuments historiques ont montré leur efficacité après les deux grands conflits mondiaux », assure le professeur d’histoire de l’art Alexandre Gady dans une autre tribune.
Du côté des juristes, ce projet de loi Notre-Dame inquiète plus qu’il ne rassure. Les explications de Damien Richard, avocat associé du cabinet Racine, spécialisé en droit de l’urbanisme.
Le Point : Le projet de loi Notre-Dame souhaite encadrer la souscription nationale destinée au financement de la restauration de la cathédrale. Que prévoit-il ?
Damien Richard : Il ouvre une souscription nationale dont le seul effet est de donner une « dimension solennelle » à cette collecte. Des dons pouvaient déjà être effectués, notamment auprès de la Fondation de France, la Fondation du patrimoine ou encore la Fondation Notre-Dame. Le projet de loi Notre-Dame précise ensuite, compte tenu du rayonnement national de l’édifice, que les collectivités locales peuvent participer au financement de la reconstruction de Notre-Dame. L’article 5 du projet porte le taux de réduction d’impôts à 75 % accordée aux particuliers, dans la limite de 1 000 euros par an, ce qu’il ne faut pas confondre avec l’avantage fiscal de 66 % associé au mécénat que pratiquent les entreprises. Un contrôle renforcé de l’usage de ces fonds est aussi proposé. Ces dispositions ont surtout pour objectif d’encadrer un élan de générosité sans précédent.
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Ce qui fait débat, en revanche, c’est la partie du projet de loi qui entend s’affranchir de la réglementation actuelle sur la restauration et la reconstruction des monuments historiques…
Selon la règlementation actuelle, tous les travaux de restauration, de réparation ou de simple modification effectués sur les monuments historiques doivent faire l’objet d’une autorisation spéciale du préfet de région ou du ministre de la Culture. Cette décision administrative résulte du Code du patrimoine, elle « vaut » permis de construire à condition d’être conforme aux règles d’urbanisme. Le contrôle est très poussé puisqu’il porte également sur les aménagements intérieurs, les matériaux et techniques utilisés. Tous ces travaux doivent être suivis par un architecte en chef des monuments historiques, que le bâtiment soit privé (par exemple l’Hôtel-Dieu de Lyon, rénové et étendu entre 2015 et 2019) ou public (comme la cathédrale de Laon, en cours de restauration).
« L’État semble ici craindre des retards consécutifs aux autorisations connexes (…) L’argument peut étonner, car l’essentiel de ces autorisations sont délivrées par les services de l’État »
Que dit la loi concernant les travaux de grande ampleur à réaliser sur un bâtiment public comme Notre-Dame, situé au cœur de la capitale ?
Lorsqu’un monument historique a été endommagé par un sinistre (incendie par exemple), la procédure de reconstruction n’obéit à aucun régime spécifique. En revanche, comme tous les bâtiments régulièrement édifiés, Notre-Dame de Paris bénéficie du droit à être reconstruit à l’identique. Toute technique de construction qui n’est pas strictement à l’identique devra en revanche respecter le plan local d’urbanisme. Mais ce n’est pas tant ce volet « urbanisme » qui justifie une loi d’exception, même s’il y a débat sur la reconstruction à l’identique, que les autres textes concernés par les travaux : le droit de l’environnement (carrière de pierre, pompage d’eau dans la Seine…), le droit de la commande publique (choix des architectes, désignation des entreprises…), les textes sur l’occupation du domaine public visant à maintenir la vocation culturelle et cultuelle de la cathédrale pendant les travaux… Ce sont les contraintes posées par ces textes qui justifient selon le gouvernement une loi dérogatoire.
Parce qu’ils sont susceptibles de ralentir les travaux ? En quoi le cas « Notre-Dame de Paris » est-il singulier du point de vue juridique ?
Le cas « Notre-Dame » n’est à mon sens singulier que par l’émotion qu’il a suscitée, même si à l’évidence il s’agira d’un chantier très complexe dans un espace public fréquenté. Ce n’est pour autant pas un cas unique, et on peut citer la reconstruction du Parlement de Bretagne, lui aussi détruit dans un incendie (en février 1994) et qui a été reconstruit pour 350 millions d’euros environ, dans le cadre d’un chantier de dix ans. Reste que ce bâtiment a un rayonnement touristique et économique remarquable.
L’État semble ici craindre des retards consécutifs aux autorisations connexes comme celles relatives à l’archéologie préventive (protection des vestiges dans le sous-sol), aux ouvertures de carrière ou encore les installations permettant « la valorisation du site pendant le chantier ». L’argument peut étonner, car l’essentiel de ces autorisations sont délivrées par les services de l’État (en l’occurrence le ministère de la Culture)…
Également sous les feux des critiques, l’article 8 du projet qui crée un nouvel établissement public chargé de piloter les travaux. « C’est coûteux et inutile », s’insurge Didier Rykner dans La Tribune de l’art…
L’article 8 organise la gouvernance partenariale des travaux. Il autorise le gouvernement à créer un établissement public chargé de « concevoir, réaliser et coordonner les travaux de restauration et de conservation » en associant a minima l’État, la Ville de Paris et le diocèse. L’opérateur du patrimoine et de projets immobiliers de la culture et le centre des monuments nationaux pourraient parfaitement accomplir cette mission. Mais ils sont tous deux contrôlés par l’État seul. Un partenariat contractuel entre le Centre des monuments nationaux, la Ville de Paris et le diocèse aurait été plus simple que de créer une nouvelle structure…
C’est sans doute l’article 9 du projet qui hérisse le plus le poil de ses opposants : il permet au gouvernement d’exonérer les travaux à venir des contraintes légales susceptibles de les retarder. Et cela, pour tenir la promesse des cinq ans !
L’idée est d’autoriser le gouvernement à écarter les règles en matière d’urbanisme, d’environnement et de préservation du patrimoine, mais aussi les règles de la commande publique, de la domanialité, de la voirie et des transports qui nuiraient à l’objectif de restauration dans les meilleurs délais. Le projet de loi ne déroge pas directement à ces lois, mais il permet, dans les deux prochaines années, d’y déroger par ordonnance.
« Décider qu’il faut reconstruire en cinq ans ne crée pas une situation d’urgence au sens du droit européen »
Peut-on juridiquement, même par ordonnance, s’affranchir de ces lois ?
Le risque provient déjà du flou de cette disposition : l’étude d’impact du projet n’identifie pas les règles problématiques et les dérogations à y apporter. Le seul problème, donné en exemple, est la mise en concurrence de l’entreprise chargée de réaliser des fouilles archéologiques. Or ces fouilles sont déjà totalement contrôlées par l’État puisqu’elles sont décidées par la direction régionale des Affaires culturelles, qui dépend du ministère de la Culture. L’utilité de déroger aux règles de la commande publique sur ce seul point n’est pas pertinente…
L’autre risque concerne les mesures d’exception qui seront prises : elles pourraient être jugées contraires aux règles européennes et donc annulées. Le droit de la commande publique français découle pour l’essentiel de textes européens obligeant la mise en concurrence des entreprises chargées de la reconstruction, auxquels l’État ne peut déroger librement, sauf en cas d’urgence objective. Par exemple, les travaux de pose de la bâche pour préserver la cathédrale des intempéries ont pu être effectués sans mise en concurrence et donc dans des délais très brefs. Il n’y avait pour ceux-ci nul besoin de loi d’exception. En revanche, décider qu’il faut reconstruire en cinq ans ne crée pas une situation d’urgence au sens du droit européen de sorte que la loi d’exception sur ce point est fragile.
Quel est finalement l’intérêt d’une telle loi ? Autoriserait-elle par exemple le remplacement de la charpente en bois par un toit en verre ?
Dans l’absolu, pourquoi pas, si on considère que cela rentre dans l’objectif de reconstruction dans les meilleurs délais et dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Finalement, il ne s’agit en fait que d’un filet de sécurité permettant au gouvernement, si besoin, de couper court au débat judiciaire. Si, par exemple, une personne venait à contester devant un tribunal administratif la reconstruction d’un élément de la cathédrale selon une variante technique, l’État pourrait prendre une ordonnance validant ladite reconstruction avec une telle variante. En somme, cet exercice de communication juridique crée plus d’incertitude que de confort…