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Crise des sous-marins : Comment expliquer la rupture du « contrat du siècle » ?

La crise des sous-marins fait suite à l’annulation par l’Australie d’un accord avec la France pour la vente de douze sous-marins. Cette affaire enflamme actuellement les relations diplomatiques. Comment expliquer la rupture de l’accord que la presse qualifie de « contrat du siècle » ? Aujourd’hui, Legalissimo tente de vous faire comprendre les raisons et les enjeux de l’abandon d’un tel accord.

Crise des sous-marins : Perte d’un contrat de 90 milliards

Le mercredi 15 septembre dernier, le Premier ministre australien Scott Morrison s’est rendu en France pour annoncer la mauvaise nouvelle à Emmanuel Macron. Durant un dîner à l’Élysée, il annonce mettre un terme au contrat entre la France et l’Australie au sujet de la vente de douze sous-marins de classe attaque. Initialement annoncé à 50 milliards de dollars, le montant avait été revu à 90 milliards de dollars. L’abandon de cet accord représente donc une énorme perte financière, faisant plonger la France dans la « crise des sous-marins ».

L’Australie choisie la technologie nucléaire

C’était en 2016, sous la présidence de François Hollande, que l’Australie avait passé cette commande de sous-marins auprès de la France après un long processus de négociations. L’ancien Premier ministre australien Malcolm Turnbull, voulant renforcer sa flotte navale face à la montée en puissance de la Chine, s’était alors tourné vers la France pour s’équiper en sous-marins. L’Australie a ensuite changé de posture et a préféré se tourner vers des sous-marins à propulsion nucléaire plutôt que les sous-marins conventionnels à moteur diesel que proposait la France.

La nouvelle alliance AUKUS

Le 16 septembre, au lendemain de la douloureuse annonce pour la France, un nouveau partenariat de sécurité trilatéral entre l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni est annoncé sous le nom d’AUKUS. Cette nouvelle alliance va permettre à l’Australie d’obtenir la technologie nécessaire pour construire au moins huit sous-marins à propulsion nucléaire.

C’est lors de la réunion du G7, le 12 juin, que le président américain a accepté pour la première fois depuis plus de 50 ans de partager les secrets de leurs sous-marins nucléaires avec un pays tiers. La Grande-Bretagne constituait auparavant la seule autre nation à avoir acquis une telle technologie. L’Australie ne sera que le deuxième pays à la recevoir.

L’accord de partage de technologie ne donnera pas à l’Australie d’armes nucléaires, conformément à l’engagement de longue date du pays de ne pas en développer. L’alliance partagera également des technologies sur la cyberdéfense, l’intelligence artificielle, l’informatique quantique, les missiles à longue portée et les « capacités sous-marines supplémentaires » telles que les capteurs et les drones.

Un plan en élaboration depuis 2 ans

L’élaboration de ce plan aurait débuté dès août 2019. Le Premier ministre australien Morrison aurait demandé à une équipe de scientifiques, de hauts gradés de la Marine, d’ingénieurs et d’autres experts de réexaminer l’accord signé avec la France. Il souhaitait s’assurer qu’il n’existait pas de meilleures options avant de dépenser une somme importante dans l’achat de sous-marins français.

Finalement, le groupe de recherche a conclu que le nucléaire serait une option préférable pour l’Australie. D’autant plus que le coût des sous-marins français a explosé, passant de 50 milliards de dollars à 90 milliards de dollars.

Crise des sous-marins : le déroulement précis des faits

  • Avril 2016 : L’ancien Premier ministre australien Malcolm Turnbull signe un accord avec le groupe industriel français Naval Group pour la construction de 12 sous-marins diesel à Adélaïde, en Australie.
  • Février 2019 : Naval Group demande un délai de 15 mois supplémentaire après un échec de conception.
  • Août 2019 : L’actuel Premier ministre australien Scott Morrison réfléchit à l’idée de s’orienter vers le nucléaire.
  • Novembre 2019 : Le gouvernement annonce que les frais de 50 milliards de dollars pour les sous-marins français sont désormais passés à 90 milliards de dollars.
  • Août 2019 : Le Premier ministre Morrison met en place un groupe technique officieux, pour examiner l’éventuelle acquisition de sous-marins nucléaires.
  • Avril 2021 : Scott Morrison met en place un cadre formel après que le Royaume-Uni et les États-Unis aient répondu favorablement au concept.
  • Juin 2021 : Le Premier ministre australien rencontre Joe Biden et Boris Johnson en marge du sommet du G7 pour conclure l’accord.
  • Septembre 2021 : L’ Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis annoncent officiellement le pacte AUKUS qui permettra à l’Australie d’acquérir jusqu’à huit sous-marins à propulsion nucléaire.

Quelle a été la réaction du Gouvernement français ?

La réaction de la France ne s’est pas faite attendre. Elle a réagi avec colère face à la nouvelle, ce qui signifie que le « contrat du siècle » est désormais annulé. Le Gouvernement français dénonce une « trahison » entre alliés. Le ministre des Affaires étrangères Yves Le-Drian a qualifié cette situation de « coup de poignard dans le dos ». « C’est très symbolique. Il y a eu une rupture de confiance », a-t-il ajouté. Emmanuel Macron n’a pas encore réagi en personne.

Le choix de l’Australie a surpris l’Union européenne, d’autant plus que le pays excluait dès 2009 d’avoir recours à la propulsion nucléaire. Un engagement qui a été inscrit dans le livre blanc de défense nationale australienne. L’alliance AUKUS est sur le point de déclencher une lourde crise diplomatique entre les puissances.

Pour marquer sa colère, la France a rappelé son ambassadeur aux Etats-Unis, un acte sans précédent vis-à-vis de cet allié historique, ainsi que son représentant en Australie. De plus, la rencontre prévue entre la ministre française des Armées Florence Parly et son homologue britannique Ben Wallace a été annulée à la demande de Paris.

Au final, la France aura reçu seulement 2 milliards de dollars sur les 90 milliards convenus. Le Gouvernement australien précise toutefois ne pas avoir abandonné le contrat en raison de  » mauvaises performances  » des sous-marins français.

Une rupture abusive

A l’heure actuelle, la France n’a pas reçu de demande de résiliation écrite de la part de l’Australie. C’est pourtant ce que stipulent les clauses de tout contrat. Selon Stéphane Séjourné, député européen, « il y aura sûrement des compensations au contrat, ainsi que des compensations diplomatiques ».

Cet abandon pourrait s’apparenter à une rupture abusive. En effet, elle est imprévisible, soudaine et violente. La partie qui rompt une relation commerciale déjà établie, doit respecter un délai minimum de préavis. A défaut, celle-ci est susceptible d’indemniser son cocontractant.

Le soutien de l’Union européenne face à la crise des sous-marins

La France peut compter sur l’Union européenne durant cette crise des sous-marins. A ce propos, la secrétaire d’Etat français aux affaires européennes Clément Beaune a averti que les négociations commerciales entre l’UE et l’Australie en vue de conclure un accord de libre-échange pourraient s’en trouver affectées. « La France ne voit pas comment elle peut faire confiance à Canberra ». Si l’accord est effectivement suspendu, la portée de cette décision serait très forte sur les échanges commerciaux.

De plus, la relation avec les Etats-Unis semble durablement endommagée. Pour autant, une rupture totale paraît difficilement envisageable du faits de trop nombreux intérêts communs à l’échelle planétaire.

L’entretien téléphonique entre Emmanuel Macron et Joe Biden

Les chefs d’Etats se sont entretenus au téléphone ce 22 septembre concernant la crise des sous-marins. Selon un communiqué commun de l’Élysée et de la Maison-Blanche, ils auraient convenu de procéder à des « consultations approfondies » pour garantir la « confiance » entre les deux pays. « Des consultations ouvertes entre alliés sur les questions d’intérêt stratégique pour la France et les partenaires européens auraient permis d’éviter cette situation. Le Président Biden a fait part de son engagement durable à ce sujet« , indique le communiqué.

En attendant leur rencontre prévue « en Europe à la fin du mois d’octobre« , ils auraient ainsi « décidé de lancer un processus de consultations approfondies visant à mettre en place les conditions garantissant la confiance et à proposer des mesures concrètes pour atteindre des objectifs communs« .

A la suite de cet entretien, l’ambassadeur français devrait retourner à Washington dès la semaine prochaine.

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Les sous-marins français, une pas si bonne affaire que ça ?

L’offre conclue avec les Australiens proposait des sous-marins au prix de 7,5 milliards de dollars chacun. A titre de comparaison, les sous-marins nucléaires américains de classe « Virginia » coûtent environ 4,5 milliards de dollars chacun et la classe britannique « Astute » 2,6 milliards de dollars chacun. L’Australie se rend donc compte qu’ils ont la possibilité d’avoir accès à la technologie nucléaire, pour un coût inférieur à l’offre proposée par le Gouvernement français.

De surcroît, les submersibles à propulsion nucléaire américains possèdent une meilleure autonomie que les modèles français. Ils peuvent atteindre une vitesse de 40 km/h, contre 32 km/h pour son concurrent français. Autre avantage, ils peuvent accomplir des missions plus longues : le modèle français épuise son carburant au bout de 80 jours alors que le « Virginia » américain peut durer, en théorie, près de 30 ans. Ce qui permettrait à l’Australie de patrouiller en mer de Chine pendant 77 jours !

Autre point de comparaison, le délai de livraison. Sur ce point, la France a l’avantage : les sous-marins français auraient dû être livrés à l’horizon 2030, tandis que les submersibles américains, embarquant la technologie nucléaire, pourraient être livré qu’à partir de 2040. C’est un long délai qui n’est pas rassurant quand on voit la vitesse à laquelle la Chine se militarise.

Une alliance qui effraie les autorités chinoises

Sans surprise, Pékin a réagi avec fureur. Ce nouvel arrangement menace effectivement les ambitions du président chinois Xi Jinping dans la domination militaire de la région indo-pacifique. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois , Zhao Lijian, a déclaré que l’alliance AUKUS « porte gravement atteinte à la paix et à la stabilité régionale, intensifie la course aux armements et sape le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ».

En effet, ils s’inquiètent que les Australiens s’équipent de sous-marins nucléaires, technologie directement transmise par leur grand rival : les Etats-Unis. Le site d’information chinois Global Times a affirmé que cette décision pourrait entraîner une frappe nucléaire contre l’Australie. L’article a notamment averti que l’ambition de renforcer l’armée australienne « pourrait avoir des conséquences destructrices » en cas de guerre nucléaire.

Dorénavant, la Chine et la Russie ne traiteront plus Canberra comme « une puissance non-nucléaire innocente », mais comme « un allié des États-Unis qui pourrait être armé d’armes nucléaires à tout moment ». Notons qu’actuellement, seuls huit pays possèdent l’arme nucléaire. Ce sont là les États-Unis ; le Royaume-Uni ; la France ; la Chine ; l’Inde ; la Russie ; le Pakistan et la Corée du Nord.

 

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