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Juridiquement morte, elle demande à la justice de la ressusciter

Tenue pour morte par la cour d'appel de Lyon, Jeanne P. se bat depuis deux ans pour prouver à la justice qu'elle est bien... vivante. « Ubuesque ! » dénonce son avocat. Par Nicolas Bastuck

« Je sais bien que l’avocat peut faire des miracles, mais c’est la première fois qu’un client me demande de le ressusciter », ironise Me Sylvain Cormier. L’affaire pourrait prêter à sourire si elle n’avait plongé celle qui en est la victime dans un « syndrome dépressif sévère ». La mort de Jeanne P. (57 ans) à été déclarée par la justice il y a deux ans. Désormais elle se bat pour prouver qu’elle est bien… vivante ! « Depuis que la cour d’appel de Lyon a évoqué son décès, ma femme a des idées noires. Son comportement et son caractère ont changé du tout au tout : elle ne quitte plus le domicile, s’est refermée sur elle-même et subit une véritable descente aux enfers », se désole son mari, établi à Saint-Joseph, dans la Loire. Comptes bloqués par les banques, angoisse d’être accusée d’usurper sa propre identité, soins non remboursés… Depuis que la justice l’a déclaré morte, Jeanne ne vit plus… Et tout son ménage en pâtit. « Cette situation ubuesque a contribué à disloquer toute une famille, qui peine aujourd’hui à se remettre d’un deuil qui n’a pas lieu d’être », s’indigne Me Cormier. Pour en sortir, cet avocat vient de lancer une procédure en « inscription de faux » devant le tribunal de grande instance de Lyon, afin d’anéantir l’arrêt de la cour d’appel de cette même ville qui, en 2017, avait fait passer sa malheureuse cliente de vie à trépas.

« Morte sans preuve »

Voici l’histoire : à la tête d’une petite entreprise de nettoyage, Jeanne P. perd un chantier important au bénéfice de deux sociétés concurrentes. Elle est contrainte de se séparer d’une de ses salariées, qui l’assigne alors devant les prud’hommes où elle obtient plusieurs milliers d’euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif. La décision est confirmée en appel le 28 novembre 2006. L’employée tente de faire exécuter la décision mais elle se heurte à un obstacle juridique. Jeanne P. ne dirige en réalité aucune société, c’est une entrepreneuse indépendante immatriculée au répertoire des métiers. Impossible de recouvrer auprès d’elle les sommes dues. La salariée de Jeanne saisit à nouveau le juge du travail, sans succès. Elle fait appel et à l’audience du 29 septembre 2017. Jeanne P. indique à la cour que son ancienne employeuse n’est plus de ce monde. Elle met en cause ses héritiers et obtient gain de cause. Le fils et l’époux de Jeanne, ses « ayants droit », devront lui verser la somme de 1921,77 euros d’indemnité compensatrice pour « licenciement sans cause réelle et sérieuse » ; outre le paiement des congés payés, la coquette somme de 8 500 euros lui est allouée à titre de dommages et intérêts.

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« Ce prétendu décès ne repose sur aucun élément de preuve ; à aucun moment, la cour n’a vérifié cette fausse information, s’en tenant aux déclarations de la partie adverse », s’étonne Me Cormier. « Ma cliente est pourtant bien vivante ! » assure-t-il. Pour que la justice en soit convaincue, et pour être sûre qu’elle ne la fasse pas mourir une seconde fois, il a versé à sa demande d’inscription de faux une série de preuves matérielles : acte d’état civil, livret de famille, photos récentes de l’intéressée, attestation de proches, avis d’imposition… « À toutes fins utiles, je puis attester que ma cliente est toujours bien de ce monde ; celle-ci se tient à la disposition de la justice pour en témoigner », précise l’avocat dans son assignation. « La mort juridique de ma mère est devenue pour elle une obsession », écrit son fils dans son attestation. « Optimiste et affirmée, ma femme est devenue pessimiste et résignée », témoigne encore le mari, toujours harcelé par les banques et les huissiers. Et voilà le détail qui tue : c’est à la « morte » que l’arrêt condamnant ses héritiers avait été signifié !

L’ancienne employée de Jeanne a-t-elle produit un faux pour relancer la procédure aux prud’hommes et obtenir ce qu’elle estimait être son dû ? S’agit-il, au contraire, d’une erreur ou d’une négligence des juges ? Me Sylvain Cormier l’ignore, en l’état. « Si la première hypothèse était la bonne, je déposerai une plainte au pénal pour escroquerie au jugement ; celui qui, sciemment, produit un document mensonger destiné à tromper la religion du juge pour obtenir une décision en sa faveur commet une manœuvre frauduleuse », rappelle-t-il. « Dans le deuxième cas, je me réserve le droit de demander des comptes à l’État pour dysfonctionnement du service public de la justice », assure-t-il.

Quelle que soit l’issue de cet embrouillamini, il faut souhaiter à sa cliente que la justice la ressuscite rapidement. Le statut de morte-vivante n’est pas des plus confortables…

 

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